Le temps d'un ouragan by Un livre Un film

Auteur:Un livre Un film [film, Un livre Un]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jessica949
Éditeur: Robert Lafon
Publié: 2012-04-25T23:39:47+00:00

11.

Assis dans la pièce principale devant son vieux bureau à cylindre, Robert Torrelson écoutait les coups de marteau de son fils occupé à condamner les fenêtres au fond de la maison. Il pliait et dépliait distraitement le mot laissé par Paul Flanner, épaté malgré tout que le chirurgien ait fait le déplacement. Il lui avait écrit à tout hasard, sans croire un seul instant que ce type connu tiendrait compte de sa demande, un type représenté par des hommes de loi à cravates voyantes et ceintures de croco qui, à aucun moment, n’avaient manifesté une quelconque sympathie envers lui ou ses proches. Pas de quoi s’étonner. Ces gens de la ville gagnaient des mille et des cents à pondre des montagnes de papier. Qu’on baisse ou qu’on monte seulement d’un degré la température de leur bureau, et ils tournaient de l’œil. Robert Torrelson était bien aise de n’avoir jamais eu à les fréquenter. Il n’aimait pas les gens qui s’y croyaient sous prétexte qu’ils étaient mieux instruits, plus riches ou possédaient une maison plus belle que la sienne. Et ce Paul Flanner, pour autant qu’il ait pu en juger quand il lui avait parlé après l’opération, était exactement ce genre de type. Raide et distant, même s’il avait pris la peine de l’informer personnellement du déroulement de l’intervention. Ses paroles sèches et son débit haché lui avaient laissé l’impression qu’aucun malheur ne lui ferait jamais perdre une minute de sommeil. Et ça, ce n’était pas juste.

Toute sa vie, il avait agi conformément à des valeurs que son père, son grand-père et le grand-père de son grand-père avant lui respectaient déjà, des valeurs qui n’avaient rien à voir avec celles de la ville. Sa famille était installée sur les Outer Banks depuis près de deux cents ans. De génération en génération, ses ancêtres avaient péché dans le Pamlico Sound en des temps où les poissons étaient en telle abondance qu’une seule prise suffisait à remplir l’avant du bateau. Mais les choses avaient bien changé.

Il y avait à présent des quotas de pêche, des règlements, des permis, pour ne rien dire de la concurrence des grandes compagnies. Il fallait se battre pour remonter un poisson de plus en plus rare. Une fois sur deux, au moment de prendre la mer, Robert ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il aurait bien de la chance s’il arrivait à rapporter un filet assez rempli pour payer ne serait-ce que la facture de gaz.

A soixante-sept ans, il en paraissait dix de plus. Lentement, son corps perdait la bataille contre le temps. Son visage buriné montrait de la fatigue ; une longue cicatrice lui barrait la tempe de l'œil gauche à l’oreille ; il était perclus d’arthrite et il lui manquait l’annulaire de la main droite, coupé par un treuil un jour qu’il remontait ses filets.

Jill, sa femme, ne s’était pas arrêtée à ces détails. Et maintenant elle n’était plus. Une photo d’elle trônait sur le bureau à cylindre. Robert se surprenait souvent à la regarder quand il était seul dans la pièce.

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